On entend souvent que la lutte contre le terrorisme se fait au dépend de nos libertés fondamentales. Je voudrais vous narrer ici l'un des exemples les plus criants de cette triste vérité.
Adolescent, j'utilisais quotidiennement une application dénommée Check My Métro. Ce réseau social du métro parisien avait plusieurs fonctionnalités, mais celle qui m'intéressait particulièrement était le signalement des contrôleurs RATP. C'était évidemment à titre informatif et nullement pour frauder.
Je me rappelle à l'époque qu'un débat existait sur la légalité d'un tel outil de signalement des contrôleurs. Dans un article publié par 20 minutes en octobre 2014, l'avocat Jean-Baptiste Le Dall comparait alors ce système aux groupes Facebook de signalement des radars qui pullulaient à l'époque. Pour cet avocat, la situation était complexe.
La loi, toujours en vigueur, interdisait l'utilisation de tout "appareil, dispositif ou produit [...] de nature à déceler la présence [...] d'appareils, instruments ou systèmes servant à la constatation des infractions à la législation ou à la réglementation de la circulation routière ou de permettre de se soustraire à la constatation desdites infractions " (article R413-15 du Code de la route), autrement dit les systèmes de détection des radars. En revanche, elle ne disait rien sur le fait de constater la présence d'un radar de ses propres yeux, puis d'avertir des camarades de la présence de celui-ci.
Or, quand la loi ne dit rien, on en revient aux textes fondateurs, aka la Constitution et la Déclaration des Droits de l'Homme et du Citoyen.
Dans cette dernière, on trouve les affirmations suivantes : "Tout ce qui n'est pas défendu par la Loi ne peut être empêché" (article 5) et "La libre communication des pensées et des opinions est un des droits les plus précieux de l'Homme : tout Citoyen peut donc parler, écrire, imprimer librement, sauf à répondre de l'abus de cette liberté dans les cas déterminés par la Loi." (article 11).
Il faut déduire de ces deux articles qu'en l'absence d'une loi l'interdisant expressément, le signalement des radars comme des contrôleurs est un droit fondamental, garantie par la Déclaration des Droits de l'Homme et du Citoyen au titre de la liberté d'expression.
D'ailleurs, en septembre 2016 la Cour de cassation a confirmé cette interprétation en jugeant que l'article R413-15 du Code de la route ne s'appliquait pas au signalement des radars mais simplement à leur détection par un outil dédié. Puis-qu’aucun texte ne venait interdire le signalement, et bien celui-ci était un droit.
Par analogie on pourrait donc estimer que cette jurisprudence vaut également pour le signalement des contrôleurs RATP. Mais entre-temps, la France avait connu plusieurs vagues d'attentats et notre législateur dans toute sa sagesse avait pris les mesures qui s'imposent "Pour garantir la sécurité dans la continuité et la stabilité ", annonçant que " la République sera bientôt réorganisée et deviendra la Première Puissance Galactique Impériale ! Pour une société fondée sur l’ordre et la sécurité !"
Bon ok ça c'est peut-être Palpatine, mais toujours est-il que le législateur a mis le paquet pour renforcer notre sentiment de sécurité. C 'est ainsi qu'en plein état d'urgence fut votée la loi portant l'un des noms les plus délirants que je connaisse : LOI n° 2016-339 du 22 mars 2016 relative à la prévention et à la lutte contre les incivilités, contre les atteintes à la sécurité publique et contre les actes terroristes dans les transports collectifs de voyageurs.
A son article 21 on trouve la phrase suivante : "Le fait de diffuser, par quelque moyen que ce soit et quel qu'en soit le support, tout message de nature à signaler la présence de contrôleurs ou d'agents de sécurité employés ou missionnés par un exploitant de transport public de voyageurs est puni de deux mois d'emprisonnement et de 3 750 € d'amende."
Et c'est ainsi que, par un tour de passe-passe associant dans un même texte incivilité dans les transports et terrorisme, le droit de signaler la présence des contrôleurs a disparu pour devenir un délit.
Et surtout ne pleurez pas, c'est pour votre sécurité !
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