Introduction
Dans la première partie, j’ai surtout évoqué des souvenirs personnels liés aux automotrices classiques de la SNCB et même si j’ai abordé certains aspects techniques de la conduite, dans ma carrière professionnelle, c’est en tant que chef-garde (on dit accompagnateur de train aujourd’hui) que je les ai connues.
Dans cette deuxième partie, je vous propose de partir avec moi (et mes souvenirs) sur quelques services avec ces automotrices.
Un service de petit matin à Arlon
Lorsque j’étais à Arlon, nous avions un service débutant à 3 h 30, il portait le numéro LL (=Arlon) 004. C’était un “petit” service de seulement 7 heures (le maximum étant 9 heures et le minimum 6 heures). Après avoir signé le registre de présence, vérifier la fiche de service, synchronisé l’appareil pour le contrôle et la vente et vérifié le matériel (clés, autocollants, formulaires, rouleaux de papier pour les billets, …) et éventuellement refait les stocks je rejoignais le conducteur (CTE = Conducteur Traction Electrique) pour aller avec lui en taxi depuis le dépôt situé en gare d’Arlon jusqu’à l’atelier de Stockem (à quelques kilomètres de là) où étaient entretenu le matériel affecté. A l’époque, il y avait surtout des automotrices doubles classiques, des AM 96, des HLD (Locomotives Diesels de Ligne) 52-53 et des HLE (Locomotives Electrique de Ligne) série 20 et 23 (dans mon souvenir).
Quelques minutes plus tard, nous arrivions à l’atelier et le CTE s’informait auprès du personnel présent quelle AM (Automotrice) était affectée pour la ME 5776 (ME= rame pour le train… ). Une fois sur place, le CTE devait préparer l’AM afin de vérifier que tout était en ordre et ainsi partir en toute sécurité. Cette opération prenait une bonne vingtaine de minutes. Cela impliquait une visite tant de l’extérieur de la rame que de certains éléments à l’intérieur. S’en suivait un essai des freins.
Pendant que le CTE était occupé à faire sa préparation, mon job, c’était de vérifier l’intérieur du train (propreté, sièges, fenêtres, éclairage, WC, portes, portes d’about, …) et en passant dans les voitures, j’ouvrais toutes les portes du train des deux côtés. Je disposais aussi d’un certain temps pour effectuer ces tâches (en général vingt minutes mais pour une aussi courte rame - deux voitures - moins de temps était nécessaire).
Une fois que tout était bon pour le CTE, celui-ci enclenchait l’inverseur afin que je puisse procéder à l’essai de fermeture des portes. Si l’essai était concluant, alors plus rien ne s’opposait au départ de l’atelier jusqu’au signal de sortie.
Parfois, une automotrice ex-Sabena avec son aménagement particulier - et son nombre de places assises réduit - était en service sur les trains L Libramont - Namur comme ce jour de 2004. - Photo de l’auteur
A l’heure prévue, ou parfois plus tôt si il n’y avait pas d’autre mouvement, le signal était ouvert par la cabine de signalisation et nous pouvions nous élancer à vide jusqu’à Libramont. Parfois, à Marbehan, la cabine nous faisait zigzaguer en gare afin d’utiliser des aiguilles qui n’étaient guère utilisées en service normal, histoire de les “dérouiller” et de les tester. Dans le meilleur des cas, nous étions informés de la chose. Le premier train quittant Arlon à 4 h 40 à l’époque, nous étions logiquement devant lui; je me souviens d’une fois où la machine (une série 20 à l’époque) avait une défaillance et le premier IC vers Bruxelles allait être supprimé faute de machine de remplacement. Le gestionnaire du trafic, le dispatching comme s’appelait à l’époque le Traffic Control, nous avait téléphoné pour nous informer de la décision prise de nous faire rouler dans l’horaire du 2127 de Marbehan à Libramont et palier ainsi la suppression du 2127 jusqu’à Libramont, ce qui avait eu pour effet de nous retarder au départ de Libramont évidemment mais au moins, les voyageurs, des navetteurs des petites heures avaient un train, certes court, mais ça valait mieux que rien du tout.
Sinon, nous allions à vide à Libramont, et là, nous attendions l’heure de départ (aux alentours de 4 h 50) vers Namur comme train E 5776 (E= électrique) en jargon ferroviaire, L (=Omnibus) 5776 pour les voyageurs.
A l’heure prévue, nous démarrions donc de Libramont pour un long trajet de près de 150 kilomètres en régime omnibus et encore, le nombre d’arrêts était relativement réduit par rapport à ce qui en était avant 1984.
Jusqu’à Ciney, c’est plutôt calme et dans cette dernière gare, nous sommes reçu sur la voie 4 pour laisser passer l’IC 2127 Arlon - Bruxelles-Midi.
Une automotrice double non modernisée au départ de Ciney vers Namur, si vous passez aujourd’hui à Ciney, vous ne reconnaîtrez plus les lieux, tant ceux-ci ont changé! - Photo de l’auteur
Une petite anecdote, un jour d’hiver, en arrivant au premier arrêt à Poix-Saint-Hubert, en ouvrant la porte, je constate un dégagement de fumée! Evidemment, j’en fait part au CTE et finalement, plus de peur que de mal, c’était le frein à vis qui était resté légèrement coincé… Nous allons pouvoir continuer sans problème une fois le frein à vis bien desserré naturellement. Le frein à vis eut été “collé”, nous aurions du nous déclarer en détresse ce qui n’aurait pas manqué de créer des problèmes d’exploitation!
Revenons à Ciney; si tout se passait bien, nous repartions quelques minutes après l’IC pour continuer, toujours en omnibus jusqu’à Namur. Par contre, et cela arrivait parfois lorsque les lourdes rames de voitures M6 étaient encore tractées par des HLE série 20 qui du fait de leur âge, connaissaient parfois des défaillances entraînant la suppression du train… Dans ce cas-là, nous récupérions la clientèle de l’IC en plus de notre clientèle habituelle… Un jour, il y avait tellement de passagers que j’avais du ouvrir le fourgon et j’étais littéralement le nez collé à la vitre de la porte extérieure de ce même fourgon… et n’étant pas grand, j’avais du mal, vu l’exiguïté résultant de l’affluence, à atteindre l’endroit où insérer ma clé à trois branches pour fermer les portes… Inutile de dire que dans ce cas là, on espérait qu’il n’y ait pas de problème parmi les voyageurs (malaise, …) et on était content d’arriver à Namur!
Après une pause de 40 minutes, à 7 h 20, nous repartions dans l’autre sens toujours en omnibus de nouveau jusqu’à Ciney où nous faisions dépasser par l’IC 2106 vers Arlon et Luxembourg avant de continuer vers Libramont comme à l’aller.
A Libramont, nous avions une dernière pause et un changement de numéro de train, et repartions à 9 h 21 comme train L (omnibus) vers Arlon où nous arrivions peu avant 10 heures. A l’arrivée, il y avait un relais de personnel et ensuite, toutes les formalités à remplir (feuille de service, divers rapports et éventuellement verser les recettes). A 10 h 30 la journée de travail était finie et si je n’étais pas trop fatigué, je pouvais encore profiter du temps restant du jour pour d’autres activités.
Evocation de quelques autres services
Outre le service 004 présenté ici, il y avait le matin le service 006 où nous allions à Marloie avec le premier train IC d’Arlon et assurions au départ de Marloie un train P composé de trois automotrices classiques que nous devions préparer à quai. Dans ce cas-là, nous n’ouvrions que les portes du côté quai et souvent, la clientèle arrivait souvent avant qu’on ait pu faire le test de fermeture… Restait à espérer qu’il n’y ait pas un problème à la première fermeture. Ce train était omnibus jusqu’à Arlon et bien chargé car arrivant peu avant 8 heures dans le chef-lieu de la province avant de poursuivre en direct jusqu’à Luxembourg.
Evocation du train L 5790 en gare de Libramont avec les automotrices 691-711 et 686, cette rame a assuré le train L 5888 de Luxembourg à Libramont juste avant. - Photo de l’auteur
L’après-midi, nous avions un service 219 qui était à peu près semblable : nous partions à vide avec trois automotrices classiques jusqu’à Luxembourg pour assurer le train L 5888 jusqu’à Libramont, comme le train du matin, nous étions direct Arlon et ensuite omnibus jusqu’à Libramont. Il fut un temps où nous “montions” à Namur en Omnibus avec les trois rames (dont une était fermée pour éviter des voitures hors quai à certains endroits et parce que la clientèle était plus clairsemée après Libramont). Nous quittions Libramont à 18 h 56 en tant que L 5790 pour arriver à Namur à 20 h 40 avec un dépassement à Ciney par l’IC vers Bruxelles. A Namur, nous allions en ce temps garer à Ronet où nous laissions deux des trois automotrices et repartions avec une seule automotrice pour assurer le train d’équilibre L 5771 jusqu’à Arlon, le tout en omnibus, avec comme à l’aller, le dépassement à Ciney par l’IC vers Arlon et Luxembourg. A Libramont par contre, nous n’avions pas de temps d’attente et arrivions à Arlon à 23 h 41. Entre Namur et Ciney, nous avions une petite dizaine de voyageurs, des habitués pour la plupart mais aussi parfois un voyageur problématique… Ca fait partie des risques du métier… Après Ciney, souvent, on comptait les voyageurs sur les doigts d’une main… mais peut-il en être autrement dans des zones rurales?
Il arrivait qu’une automotrice modernisée pour les services CityRail (aujourd’hui trains S) autour de Bruxelles venait se perdre sur la ligne 162 comme ici en octobre 2007 - Photo de l’auteur
Je me souviens aussi du train 5779, départ à 9 h 03 de Ciney à l’époque, nous avions aussi une automotrice double ce qui suffisait en temps normal mais le jeudi, jour de marché à Jambes (Namur), la clientèle était nombreuse à monter aux différents arrêts, si bien que parfois, on arrivait pas à voir tout le monde sur la petite demi-heure que durait le trajet, à chaque arrêt, il fallait descendre sur le quai, fermer les portes et continuer bon an mal an le contrôle et la vente des nombreux billets. Et en 2004, nous vendions encore beaucoup de billets dans le train, les automates de vente n’existaient pas mais à part à Ciney, il n’y avait aucun guichet dans les arrêts en cours de route, si bien que l’IBIS (la machine portative pour confectionner les billets) chauffait! La plupart des clients qui allaient chaque jeudi au marché, avaient la monnaie prête pour leur billet. C’était une autre époque, car aujourd’hui, il y a des automates partout et nous ne vendons pratiquement plus de billets à bord et si ça doit arriver, c’est uniquement avec paiement par carte et surtaxé de surcroît (sauf si l’automate sur le quai est défectueux). Sur ce service, il n’était pas rare que je dusse aller verser à Namur entre deux trains car j’avais dépassé le montant maximum autorisé en caisse.
Après avoir découplé deux automotrices, nous repartions avec une seule pour assurer le train L 5771 vers Arlon - Photo de l’auteur
Je finirai cette évocation des services en automotrices doubles sur la ligne 162 par le service du weekend. Longtemps, il y avait deux services : un le matin et un l’après-midi qui consistait en deux allers-retours Arlon - Ciney en omnibus. Nous partions à 6 h 10 avec le premier train pour arriver à Ciney à 7 h 50 et repartions après le passage de l’IC 2106 vers Luxembourg, soit vers 8 h 10 pour arriver à Arlon à 9 h 50 et nous repartions à 10 h 10 pour un second aller-retour… avec un retour à Arlon à 13 h 50. C’était un service cool mais qui paraissait long… il n’y avait pas souvent foule à bord, malheureusement. A une époque, nous avions le service le samedi et le dimanche mais ensuite ça a changé.
Des incidents avec les automotrices doubles, j’en ai eu très peu… peut-être une fois l’ampoule de la lampe porte qui était grillée, il fallait alors convenir avec le conducteur d’une procédure pour les départs pour éviter de perdre du temps (le plus souvent, on fermait depuis les portes les plus proches du poste de conduite et donnions un OT - Opérations Terminées - verbal). Ah si, une fois en hiver, l’automotrice a lâché à Marloie un samedi au second retour de Ciney, impossible de continuer plus loin et il nous a fallu attendre un bon moment pour qu’une automotrice de secours vienne de Jemelle (à cinq kilomètres de là mais il fallait trouver un conducteur pour préparer une rame et l’amener à Marloie). Une fois arrivée, nous avons accouplé, fait un essai des freins et sommes repartis avec un retard conséquent et avec 50 % de puissance puisqu’il n’y avait que celle venue de Jemelle qui assurait la traction… Il y a sans doute eu une fois ou l’autre une porte défaillante mais dans l’ensemble, ça fonctionnait bien ces automotrices. L’avantage d’une technologie “simple”… aujourd’hui, l’ordinateur de bord détecte parfois des avaries qui n’en sont pas… et vous connaissez l’inflexibilité des ordinateurs!
Le mot de la fin
Évoquer ces souvenirs, c’est aussi un peu les revivre. mis par écrit pour qu’ils ne se perdent pas dans un coin de la mémoire, et même si cela devait arriver, il y aura désormais une trace écrite. C’est un témoignage d’une époque révolue aussi.
Le confort était certes un peu spartiate pour l’époque actuelle mais les automotrices classiques de la SNCB étaient robustes et l’ont prouvé jusqu’il y a peu puisque les dernières ont quitté la scène ferroviaire ce 14 décembre 2024, pas mal pour des automotrices entrées en service au milieu des années 1960 (modernisées pour certaines au début des années 2000).
Une automotrice double quittant le point d’arrêt de Courrière sur la ligne 162 entre Ciney et Namur - Photo de l’auteur
Comments
No comments yet. Be the first to react!